Grandes structures de l'Univers
Par Françoise Combes, Observatoire de Paris
Article dans l'Astronomie, May 2005
Durant la dernière décennie, ont été entrepris de grands relevés systématiques du ciel, qui nous apportent une vue nouvelle de l'Univers qui nous entoure. La richesse et la profondeur de ces relevés constituent une avancée considérable, révèlent la forme et l'étendue des structures cosmologiques (filaments, murs, vides..) et permettent de tester nos scénarios de formation des grandes structures et des galaxies dans l'Univers.
Notre position au coeur du système :
La Figure 1 ci-contre, due à Richard Gott et ses collaborateurs en 2003, représente les diverses structures rencontrées en fonction de la distance, portée en logarithme, ce qui grossit les plus faibles distances. La projection de l'Univers qui nous entoure est " conforme ", et conserve les formes localement, un peu comme la projection Mercator du globe terrestre. En effet, les astronomes ont les mêmes problèmes de projection de la sphère céleste que les géophysiciens. Mais en plus, il est extrêmement difficile de représenter toutes les échelles, qui varient sur plusieurs ordres de grandeur, des distances dans le système solaire, qui sont de l'ordre de minutes ou heures lumière, à des grandes structures de l'Univers, à des milliards d'années-lumière. L'échelle logarithmique aide donc à cette représentation. La plupart des structures sur ce diagramme ont été obtenues par le relevé SDSS.
Le Sloan Digital Sky Survey (SDSS) est le relevé astronomique en cours le plus ambitieux actuellement : il doit couvrir un quart de tout le ciel, et remplir un catalogue de 100 millions d'astres. Il délivrera à terme le spectre et le redshift de 1 million de galaxies et quasars. Il est effectué par un consortium d'équipes, dirigé par l'Université de Chicago, et observe sur un télescope dédié de 2.5m de diamètre d'Apache Point Observatory (état de New Mexico, USA). Les images sont prises en plusieurs couleurs, et la quantité totale de données produites sera de 15 Téra-bytes (soit 15 000 milliards d'octets). Déjà une grande quantité de données a été distribuée aux astronomes, et l'ensemble une fois terminé sera une banque de référence pour les années à venir.
Même si le SDSS n'est pas terminé, certaines tranches de ciel sont complètes, et l'on peut donc déjà projeter ces tranches d'univers à trois dimensions : la position en projection sur le ciel est donnée par les angles de vue, et la profondeur, la distance au soleil, donc la position dans la 3ème dimension, est donnée par la vitesse par rapport à nous, mesurée par effet Doppler sur le spectre de la galaxie, en utilisant la loi d'expansion de Hubble : toute galaxie s'éloigne de nous avec une vitesse proportionnelle à sa distance. Cette loi n'est pas très précise au voisinage de la Voie Lactée, car la vitesse d'expansion est alors faible et se confond avec les vitesses d'agitation particulières, mais dès que la distance croît, l'expansion domine, et la distance est bien déterminée.
Ce genre de projection de tranche d'Univers avait déjà été fait par le relevé précédent, fait par le CfA (Center for Astrophysics d'Harvard), ce relevé avait pris 10 ans, de 1985 à 1995, et contient 18 000 galaxies. Il montre déjà qu'aussi loin que l'on regarde l'on voit des grandes structures, des " murs " de galaxies, qui font presque la taille de la zone observée. Dans le nouveau relevé du SDSS, un énorme mur est encore observé, révélant que la taille des plus grandes structures ne fait que croître, l'univers observable ne devient pas homogène (Figure 2).
Figure 1: Carte conforme, respectant localement les formes des structures, de l'univers autour de nous. Les deux colonnes représentent deux directions opposées par rapport à la Terre. Verticalement, est comptée en échelle logarithmique la distance des objets par rapport à la Terre, à gauche en Mpc (= 3 millions d'années-lumière), à droite en unité de rayons terrestres. Le grand mur dans le relevé SDSS fait 1370 Mpc, 80% plus long que le plus grand mur du précédent relevé CfA2, ici représenté en contours (d'après Richard Gott et coll 2003).
Les structures s'effacent progressivement lorsque l'on monte dans le diagramme, c'est-à-dire pour les objets très éloignés. Plus on observe loin, plus on remonte le temps, et les objets sont alors très jeunes, les structures n'ont pas eu le temps de se former sous l'influence de leur propre gravitation. En haut du diagramme, on remonte successivement jusqu'aux premières étoiles, puis on atteint la dernière surface de diffusion du fond cosmologique de rayonnement, puis le Big-Bang, à la frontière de l'horizon.
Figure 2: Comparaison entre les deux relevés, le CfA2 précédent, et le nouveau SDSS en cours. Seule une tranche d'univers est représentée avec l'ascension droite (projection sur le ciel) et la profondeur parallèlement aux parois du cône, qui est la distance, obtenue grâce à la vitesse d'expansion par rapport à nous. Le nouveau "mur" mis à jour par le SDSS est bien plus grand que l'ancien mur, le plus grand à l'époque (d'après R. Gott et coll 2003).
Un autre relevé est aujourd'hui terminé, le 2dF GRS (Galaxy Redshift Surveys) 250 000 spectres de galaxies ont été obtenus avec le télescope Anglo-Australien (AAT) de 4m de diamètre. La vitesse à laquelle a été effectuée ce relevé contraste avec celui du CfA, mais ceci est dû à l'obtention de 400 spectres par pose, avec les spectrographes à fibre optique (au lieu d'un avec les spectro à longues fentes). La figure 3 montre la nature des structures obtenues, à la fois sur la projection d'une tranche d'univers.
Figure 3: Tranche d'univers observée par le consortium Anglo-Australien du relevé 2dF; Sa profondeur est d'environ 2 milliards d'années-lumière.
Des satellites autour de la Voie Lactée et d'Andromède
L'observation de l'univers commence par notre voisinage le plus immédiat, et l'entourage de la Voie Lactée nous réserve encore des surprises. Un relevé de tout le ciel a été fait dans les longueurs d'onde de l'infra-rouge proche, où l'extinction de la poussière est beaucoup moins sévère que dans les longueurs d'onde visible. Un relevé a été fait par les Français (DENIS) sur un télescope dédié à la Silla, et un autre plus profond par un consortium américain 2MASS.
Figure 4: Carte dans les coordonnées galactiques de la Voie Lactée (au centre, et selon l'horizontale) entourée des structures du ciel visibles en infra-rouge proche. Les couleurs représentent les différentes distances, repérées par leur redshift: bleu pour les sources proches (z < 0.01), vert à distance modérée (0.01 < z < 0.04), rouge les plus lointaines (0.04 < z <0.1). La Voie Lactée est représentée par ses étoiles (500 millions d'étoiles dans le catalogue), et les galaxies extérieures comportent 1.5 millions d'objets (d'après Jarrett, 2004).
2MASS a observé tout le ciel en trois années, avec deux télescopes dédiés de 1.3m de diamètre, un dans chaque hémisphère. Il a donné une vue globale dans plusieurs couleurs, d'abord de la Voie Lactée et aussi des galaxies qui nous entourent, comme indiqué dans la Figure 4 avec la charte de correspondance. La distance des objets est obtenus par spectroscopie avec d'autres télescopes. L'avantage de ces longueurs d'onde, non obstruées par la poussière de notre Galaxie, et de voir les fameuses zones d'évitement, ou dans l'optique c'est le black-out total (par exemple le Grand attracteur a longtemps été un amas caché par le disque de la Galaxie).
Un des résultats marquants des récents relevés est la découverte de galaxies compagnons de la Voie Lactée que l'on ne connaissait pas, et aussi la présence de courants d'étoiles, qui semblent être les traînées de débris des satellites de notre Galaxie qui ont été détruits par effets de marée. Il se pourrait même que le halo stellaire de notre Galaxie soit entièrement constitué de courants et débris de satellites avalés par la Voie Lactée. Ce mode de formation du halo est complètement différent du scénario qui avait cours jusqu'ici, i.e. de l'effondrement progressif de la boule de gaz qui a donné naissance à notre Galaxie, et de la formation d'étoiles simultanée. En fait, au lieu d'être le premier composant à se former, le halo stellaire serait le dernier.
Des courants d'étoiles ont été aussi découverts autour de la galaxie spirale la plus proche de nous, Andromède, de même que de nouveaux satellites très peu brillants (voir Figure 5).
Figure 5: La galaxie d'Andromède (au centre) révèle de très grandes extensions stellaires (en jaune-vert, relevé du SDSS) et même des petits compagnons, comme l'ensemble lâche d'étoiles, indiqué par la flèche blanche. La Lune est reproduite pour donner la taille immense de la photo. (d'après Zuker et al 2004).
Structures fractales dans l'Univers
Comme le montre de façon superbe tous les relevés depuis des dizaines d'années, les galaxies ne sont pas distribuées de façon homogène, mais selon une hiérarchie de structures. Les galaxies se rassemblent en groupes, puis en amas de galaxies, eux-mêmes inclus dans des superamas (Figure 6). Cette distribution imbriquée en poupées russes avait déjà été notée au début du XXème siècle (Charlier 1908, 1922, Shapley 1934, Abell 1958), bien avant les illustrations en 3D disponibles aujourd'hui. Déjà en 1970, de Vaucouleurs propose une loi universelle reliant la densité r d'une structure à sa taille r, une loi de puissance r ~ r –a avec un exposant a =1.7. Cette loi indépendante d'échelle caractérise un " fractal ", nom qui a été créé en 1975 par Benoît Mandelbrot. Par définition, la dimension d'un fractal est l'exposant D de la loi de puissance reliant la masse d'une structure M à sa taille r, soit M ~ rD (D = 3 pour un milieu homogène à 3 dimensions). L'observation suggère que le fractal des grandes structures cosmologiques est de dimension inférieure à 2, de l'ordre de D = 1.8. Historiquement, il est intéressant de noter que C. Charlier envisageait d'expliquer le paradoxe d'Olbers (pourquoi le ciel est-il noir ?) par cette structuration hiérarchique des galaxies, en effet, le facteur de remplissage en surface des galaxies peut être inférieur à 1, si la dimension de leur structure fractale est inférieure à 2. Bien sûr aujourd'hui, le paradoxe est résolu par le Big-Bang (l'Univers est fini dans le temps), et l'expansion qui fait sortir du domaine vi sible le rayonnement des galaxies lointaines par décalage vers le rouge.
Figure 6: Représentation en perspective 3D du relevé 2dF, montrant la structure fractale imbriquée des galaxies (site 2dF).
Jusqu'à quelle échelle se poursuit la structure fractale ? C'est une question qui a été très débattue dans la dernière décennie, et bien que nous n'ayons pas encore de réponse très précise (puisque des grands " murs " sont encore observés jusqu'aux limites des relevés), nous pouvons toutefois déduire de l'observation du fond cosmologique, et de sa très grande homogénéité et isotropie, que l'Univers doit devenir homogène à partir d'un certain temps et d'une certaine échelle.
L'observation du fonds cosmologique et de ses anisotropies
Depuis l'observation du satellite COBE dans les années 1990, nous connaissons l'amplitude des anisotropies du fonds de rayonnement de corps noir, ou bain de photons thermique à 3 Kelvin de température, qui représente le rayonnement fossile du Big-Bang. Ce rayonnement a son maximum dans le domaine des micro-ondes, à des longueurs d'ondes millimétriques. Le ciel est très homogène dans ces longueurs d'onde, et il faut soustraire ce fonds constant, pour commencer à voir une déformation dipolaire, qui est due au mouvement de notre Galaxie par rapport au repère absolu de l'univers que représente le corps noir. Ce mouvement est de 600km/s vers les amas de galaxies dont le Grand Attracteur. Ce n'est qu'après avoir soustrait ce dipôle qu'apparaît le rayonnement de la Voie Lactée, qui a une géométrie caractéristique (cf Figure 7). La soustraction de cet avant-plan est facilitée grâce à l'observation par le même satellite de tout le ciel à plusieurs longueurs d'onde : ainsi le rayonnement de la Voie Lactée, qui est très différent d'un corps noir, se distingue par sa signature spectrale.
Depuis le satellite COBE dont la résolution spectrale n'était que de 7 degrés d'arc, d'autres observations à plus haute résolution ont été effectuées, et surtout par le satellite WMAP (avec une résolution de 12 minutes d'arc à 3mm de longueur d'onde). Les résultats donnés dès 2002 ont révolutionné notre connaissance de l'univers, en précisant sa géométrie, le taux d'expansion, sa composition et la fraction de ses composants.
Figure 7: Cartes du ciel obtenues par COBE (en haut), et montrant les étapes successives de soustraction d'un fond constant (à gauche), du dipôle, et de l'émission de la Galaxie. La carte finale (à droite) des fluctuations correspond très bien à celle de WMAP (en bas), obtenue récemment avec plus de résolution spatiale (crédit NASA).
Que représentent les fluctuations dans le fonds cosmologique ? Elles sont en fait les vestiges des fluctuations qui ont donné naissance aux galaxies et aux grandes structures. Lorsqu'on détecte les photons du corps noir aujourd'hui, ils ont voyagé quasiment sans perturbations depuis l'époque de la recombinaison de la matière, qui a lieu environ 400 000 ans après les Big-Bang. Auparavant, l'univers est ionisé, un plasma contenant essentiellement des protons, des électrons et des photons. Ces derniers sont sans cesse diffusés par les particules chargées, et sont couplées avec elles. L'univers est opaque, et nous ne pourrons pas voir au-delà. Par contre, dès que la matière se recombine, les protons avec les électrons pour donner des atomes d'hydrogène, alors les photons se découplent de la matière, et l'univers devient transparent. Les fluctuations sont donc des indicateurs très précis de l'origine des structures. Elles sont dues à des fluctuations de densité de matière, qui, stabilisées par le couplage avec les photons, oscillent en des ondes acoustiques, dont la physique est très simple. Les caractéristiques de ces ondes, dont on voit l'observation en fonction de la résolution spatiale dans la Fig 8, notamment la hauteur et la position des pics, permettent donc de déduire la fraction des baryons, de matière noire, le degré d'expansion et la courbure de l'univers, etc..
Figure 8: Intensité des fluctuations de température du fond cosmologique en fonction de l'échelle spatiale (échelle du haut) ou du multipôle l (échelle du bas). Les grandes valeurs de l correspondent aux hautes fréquences spatiales, soit aux petites échelles angulaires. La courbe est le meilleur ajustement aux données de WMAP, CBI (Cosmic Background Imager, Caltech, USA) et ACBAR (Arcminute Cosmology Bolometer Array Receiver in Antartica).
Grâce à la mesure des anisotropies du fond cosmologique, mais aussi grâce à la détection de supernovae de type Ia très lointaines, qui sont comme des chandelles standard, et aussi grâce à l'observation de lentilles gravitationnelles, nous disposons d'un faisceau de preuves qui convergent vers un modèle d'univers très précis (que l'on appelle modèle de concordance). Depuis moins de trois ans, nous savons aujourd'hui que l'âge de l'univers est de 13,7 milliards d'années, que sa géométrie est plane, et qu'il est composé pour environ 70% d'énergie noire, d'origine encore non élucidée, qui est responsable de la ré-accélération de l'expansion. Les 30% restants sont de la matière, environ 5% de nature ordinaire (baryonique) et pour 25% de matière noire, détectée uniquement par son action gravitationnelle, et dont la nature reste inconnue.
La mesure des fluctuations de densité une fois développées, et matérialisées dans les grandes structures cosmologiques, peut être effectuée grâce aux grands relevés, et cette mesure indépendante confirme aussi le modèle de concordance. La Figure 9 montre par exemple le diagramme de la densité en fonction de l'échelle, pour les structures mesurées par le SDSS ; ces mesures correspondent bien avec la prédiction du modèle.
Figure 9: Amplitude des fluctuations de densité dans l'Univers, de quelques millions à 40 milliards d'années-lumière, mesurées par plusieurs moyens, dont les observations SDSS (points noirs). La courbe bleue correspond aux prédictions du modèle de concordance, comprenant 5% de baryons, 25% de matière noire, et 70% d'énergie noire (d'après Tegmark 2004).
La comparaison des cartes du relevé de galaxies SDSS avec les cartes WMAP a permis de détecter des corrélations entre les grandes structures de galaxies et les fluctuations de la température des photons du fond cosmologique. L'interprétation fait appel à l'effet ISW (Integrated Sachs-Wolfe) : l'énergie des photons est modifiée par le champ de gravité. A la traversée d'un amas de galaxies (puits de potentiel gravitationnel) les photons gagnent de l'énergie en tombant (bleuissent) puis rougissent en remontant. Si la traversée prend un certain temps (100 Myr typiquement), l'amas de galaxies aura eu le temps d'une expansion non négligeable (due au terme d'énergie noire) et son potentiel sera moins profond à la sortie: les photons ressortent donc plus bleus. Les grands relevés de galaxies confirment donc l'existence de l'énergie noire.
Un petit problème a toutefois été remarqué dans le modèle de concordance : si les anisotropies du fond cosmologique à moyenne et petite échelle sont tout à fait conformes à ce qui est attendu, à grande échelle par contre, l'amplitude est un peu faible (surtout au niveau du quadrupole et de l'octopole). Un modèle d'univers fini, qui ne permettrait pas les oscillations de très grandes tailles, mais au contraire dont la taille de l'espace impose une valeur maximum aux longueurs d'onde autorisées a été proposé par Luminet et al (2003), c'est l'espace dodécaédrique de Poincaré (cf Fig 10).
Figure 10 : L'espace dodécaédrique de Poincaré est fini, mais sans bords ni limites, de sorte que l'on peut y voyager indéfiniment. Du coup, on a l'impression de vivre dans un espace 120 fois plus vaste, pavé de dodécaèdres qui se démultiplient comme dans un palais des glaces. Le retour des rayons lumineux qui traversent les parois produit des mirages optiques : un même objet a plusieurs images (d'après Luminet et al 2003).
Formation des galaxies
Maintenant que le cadre est précisé, et les composants confirmés, peut-on déterminer avec plus d'exactitude le scénario de formation des galaxies ?
Le principe fondamental pour former les structures et les galaxies est l'instabilité gravitationnelle, mais la gravité doit vaincre l'expansion, qui s'oppose à l'effondrement des structures. Selon le critère d'instabilité de Jeans, en l'absence d'expansion, toute masse supérieure à une masse critique va s'effondrer sous l'action de l'auto-gravité, et cet effondrement est très rapide, exponentiel. En présence d'expansion, à l'opposé, on peut montrer que l'effondrement est beaucoup plus lent, et le contraste de densité se développe de façon linéaire en fonction du temps, et non exponentielle. Plus précisément, comme la taille caractéristique d'une portion d'univers (ou facteur d'échelle) croît avec le temps par l'expansion, le contraste de densité des structures croissent comme ce facteur d'échelle.
Le problème est que la matière ordinaire, les baryons, ne peuvent commencer à s'effondrer par instabilité gravitationnelle qu'après le découplage avec les photons, qui les stabilisent. Donc l'effondrement ne commence qu'après la recombinaison, environ 400 000 ans après le Big-Bang, et le facteur d'échelle de l'univers ne croît plus que d'un facteur 1000 jusqu'à l'époque actuelle. Les fluctuations (ou contrastes de densité) à grande échelle ne sont que de l'ordre de 1 pour 100 000, mesurées par COBE dans le fond cosmologique à cette époque. Les structures baryoniques n'ont pas le temps de se former.
Seule la matière noire non-baryonique, dont les particules ne sont pas couplées aux photons par des forces électromagnétiques, mais seulement par la gravité, peut développer des structures bien avant la recombinaison, juste après l'équivalence entre matière et rayonnement, qui se produit environ 10 000 ans après le Big-bang. Avec ce temps de développement supplémentaire, les contrastes de densité de la matière noire sont suffisants aujourd'hui. A la recombinaison, les baryons vont s'effondrer dans les puits de potentiel déjà formés de la matière noire et les galaxies pourront voir le jour en temps voulu.
La façon dont se développent les structures dépend ensuite de l'origine des fluctuations primordiales, et de la nature de la matière noire. Celle-ci est dite " chaude " ou " froide " respectivement selon que les particules qui la forment sont ou non relativistes lorsqu'elles se découplent des photons. La théorie qui correspond le plus aux observations aujourd'hui est la matière froide ou CDM (cold dark matter). Dans ce cadre, la formation des structures est hiérarchique, les petites structures se forment les premières, puis elles fusionnent pour former les plus grosses. Au contraire, dans le cadre de la matière noire chaude, les vitesses relativistes des particules produisent une forte pression qui empêchent les petites structures de se former, et ce sont les amas de galaxies qui se forment les premiers, puis qui se fragmentent. La distribution en masse des structures observées exclut le scénario de la matière chaude, même si le scénario CDM n'est pas non plus parfait. Il y a trop de structures à petite échelle prédites, comme nous allons le décrire.
Au tout début des condensations, ce sont donc les petites masses de gaz qui vont se rassembler d'abord, et former les premières étoiles. Ces embryons de galaxies vont ensuite fusionner successivement pour former de plus grosses galaxies, et dans un temps plus avancé, les amas de galaxies vont se découpler de l'expansion, et devenir gravitationnellement liés eux aussi. C'est à cette époque-là que les interactions entre galaxies ont été les plus violentes, et il s'en est suivi un feu d'artifice de formation d'étoiles. Dans l'histoire de la formation d'étoiles de l'Univers, ce moment correspond au maximum.
Simulations confrontées aux observations : les failles du modèle
Aujourd'hui les progrès des ordinateurs permettent d'effectuer des simulations relativement réalistes de grandes tranches d'univers. Les interactions gravitationnelles de milliards de particules sont calculées pour représenter la matière noire, le gaz et les étoiles, et prendre en compte les échanges de masse entre toutes ces phases. Les fluctuations primordiales sont supposées au départ, et elles se développent dans l'ordinateur, avec les formes qui correspondent de très près aux structures observées, comme le montre la Figure 11.
Figure 11: Simulation numérique de la formation de structures dans un univers de matière noire CDM. Le cube fait 500 millions d'années-lumière, et inclut 16 millions de particules (d'après le groupe INC de l'IAP).
Il y a pourtant au moins trois problèmes qui résistent à tous les essais de simulations et à l'imagination des théoriciens :
1- La distribution radiale de la matière noire dans une galaxie ne correspond pas à celle qui est déduite de la courbe de rotation de la galaxie. Il existe notamment des galaxies naines qui sont complètement dominées par la matière noire. Ces galaxies sont donc d'excellents laboratoires pour en déterminer les caractéristiques. La façon dont le gaz tourne autour du centre, nous révèle la distribution de matière. Celle-ci n'est pas du tout concentrée vers le centre, comme prédit par les simulations du modèle CDM. Est-ce que nous nous trompons sur la nature de la matière noire ?ou bien y a-t-il un mélange de matière noire baryonique et non-baryonique au niveau des galaxies ? La fraction de matière noire à l'échelle galactique est assez petite, et elle pourrait être entièrement baryonique, sans violer le maximum de densité de baryons permis par le modèle de concordance, c'est-à-dire 5% du total. La distribution radiale de la matière noire ressemble beaucoup à celle du gaz d'hydrogène, dans ces galaxies naines. Bien sûr le gaz d'hydrogène atomique détecté n'est pas suffisamment massif, il faudrait le multiplier par un facteur 7 pour expliquer les courbes de rotation entièrement. Deux solutions sont alors possibles : soit le gaz manquant est sous forme d'hydrogène moléculaire, indétectable lorsque l'enrichissement en carbone et oxygène est faible (comme dans les galaxies naines), ou bien il faut changer la loi de la dynamique Newtonnienne, à faible accélération, comme proposé par M. Milgrom en 1984. Bien que cette théorie ne soit pas encore acceptée par tous, les échecs actuels du modèle CDM amènent un regain de travail sur cette hypothèse.
2- Un problème grave empêche à la matière visible de garder assez de moment angulaire pour former des disques comme celui de la Voie Lactée. Dans l'effondrement et la fusion des galaxies, les baryons perdent leur moment par friction dynamique sur les halos de matière noire, qui sont très massifs. A l'équilibre, les disques de galaxies spirales dans les simulations sont dix fois trop petits par rapport aux observations.
Il est possible que notre manque de connaissance de la physique des baryons, notamment les lois de formation d'étoiles, et surtout les phénomènes énergétiques qui en résultent, explosions de supernovae, vents stellaires, qui empêchent l'effondrement des baryons et régulent la formation d'étoiles, ou même les phénomènes énergétiques associés à la présence d'un noyau actif (trou noir) au centre de chaque galaxie, permettent de réduire les effets de friction dynamique, et retiennent un peu plus le moment angulaire des baryons. Les simulations numériques qui prennent en compte aujourd'hui ces phénomènes de régulation n'arrivent pourtant pas encore à résoudre le problème, même si la situation s'améliore.
Figure 12: Prédiction par les simulations numériques de centaines de petits compagnons autour de chaque galaxie géante (d'après Ben Moore et al 1999)
3- Enfin le modèle CDM prédit que toute galaxies spirale comme la Voie Lactée devrait être entourée d'au moins 400 satellites, ou 400 petites galaxies naines (voir la Figure 12). Bien sûr des compagnons nains ont été découverts récemment autour de la Voie Lactée, mais il y en a tout au plus une douzaine, et il n'y en aura pas beaucoup plus. Où sont passées toutes les petites galaxies manquantes ? Se pourrait-il que les petits satellites sont trop peu massifs pour retenir leurs baryons, dès la première formation d'étoiles, les explosions de supernovae soufflent le gaz à l'extérieur des halos de matière noire ? mais alors on devrait avoir autour de chaque galaxie spirale des centaines de halos noirs sans matière visibles ? ceci semble incompatible avec le manque de perturbations dans le disque dus aux passages de tous ces compagnons, et de plus les expériences de lentilles gravitationnelles devraient sentir la présence de ces puits de potentiel.
Là encore, il faudrait une matière noire d'une autre nature que celle qui est supposée couramment : des particules sans interaction spécifique mis à part la gravité, notamment ces particules sont sans collisions.
Aujourd'hui l'hypothèse de dynamique modifiée bénéficie d'un regain d'espoir, depuis que l'existence de l'énergie noire est confirmée. Les théoriciens cherchent à trouver une explication commune à la matière noire et à l'énergie noire, et faire d'une pierre deux coups. Mais jusqu'à présent les efforts sont restés vains. Il faut dire que le modèle de dynamique modifiée rencontre de sérieux problèmes dans les amas de galaxies, car la matière noire domine non plus aux bords des objets, où l'accélération est faible comme dans les galaxies, mais au centre des amas de galaxies, où l'accélération est forte, et donc pas sujette à modification. Le mystère reste entier.
Références de sites :
http://arxiv.org/PS_cache/astro-ph/pdf/0310/0310571.pdf
Gott et al (2003)
http://cfa-www.harvard.edu/~huchra/zcat/
CfA redshift survey
http://www.mso.anu.edu.au/2dFGRS
2dF cones
http://www.mso.anu.edu.au/6dFGS/Pics/Slices/6dFzslice.gif
6dF
http://pegasus.phast.umass.edu/
2MASS images of the MW +LMC etc...
http://spider.ipac.caltech.edu/staff/jarrett/2mass/LSS/
LSS in the infrared universe
http://spider.ipac.caltech.edu/staff/jarrett/papers/LSS/2MASS_LSS_chart-NEW.jpg
Tom Jarret Local LSS!
http://spider.ipac.caltech.edu/staff/jarrett/papers/LSS/
Jarrett paper
http://www.sdss.org/
SDSS home page
http://www.sdss.org/news/releases/20031028.powerspectrum.html
3D LSS, SDSS
http://www.hep.upenn.edu/~max/sdss2.html
Mag Tegmark Page
http://arxiv.org/abs/astro-ph/0307335
ISW effect
http://www2.iap.fr/INC/xhtml/
page du groupe INC de l'IAP