Notice des Travaux Scientifiques

F. Combes (LERMA, Observatoire de Paris)

I- Dynamique des Galaxies

Evolution séculaire selon la séquence de Hubble

Depuis deux décennies, la vision que nous avons des galaxies et de leur évolution a considérablement changé. Il était d'usage de cataloguer les galaxies le long de la séquence de Hubble, barrées ou non, de type tardif ou précoce, une bonne fois pour toutes, après leur formation. On s'est aperçu peu à peu que la morphologie des galaxies évoluait en fait très vite, dans un temps caractéristique bien inférieur à l'âge de l'Univers. Une galaxie peut passer par plusieurs épisodes "barrés" dans sa vie, de même qu'elle évolue progressivement en remontant la séquence, des types tardifs aux précoces. Cette interprétation de l'évolution des galaxies a pu être possible grâce aux simulations numériques, étayées par les observations. Avec mes collaborateurs, j'ai contribué de façon significative à cette nouvelle vision.

Les simulations numériques N-corps effectuées pour ma thèse en 1980, étaient parmi les premières en 3D, ce qui m'a permis de découvrir un mécanisme nouveau: la formation par résonance entre le disque et la barre de bulbes en forme caractéristique de boîte ou de cacahuète (Combes & Sanders 1981). Ces morphologies étaient observées depuis longtemps, et classsifiées "boxy" ou "peanut", à commencer par le prototype "peanut galaxy" dans l'atlas de Hubble, mais personne n'avait encore avancé d'interprétation. Ces premières simulations (qui à l'époque ne contenaient pas encore de gaz, mais seulement des étoiles) ont mis en évidence plusieurs phénomènes physiques, qui se sont révélés par la suite fondamentaux pour l'évolution: la force de l'instabilité dynamique en forme de barre, en fonction du rapport bulbe-sur-disque, le ralentissement de la vitesse de rotation de la barre lors de sa montée en puissance, et la formation des cacahuètes (voir figure I-1). Ces phénomènes permettent d'expliquer la stabilisation des barres lorsqu'elles remontent la séquence de Hubble (i.e. lorsque le bulbe s'accroît), le transfert de moment angulaire vers l'extérieur, et la concentration de la masse de la galaxie, grâce aux couples gravitationnels de la barre, et la formation progressive des bulbes à partir des disques.

Figure I-1a: Projection de la barre à la fin d'une simulation N-corps, vue par la tranche, lorsque la barre est perpendiculaire (gauche) et parallèle (droite) à la ligne de visée. Les étoiles sont soulevées perpendiculairement au plan par des résonances, et forment une structure en cacahuète. (d'après Combes & Sanders 1981)

Figure I-1b: Orbites régulières à l'origine des structures en cacahuète: à gauche, une orbite périodique, à droite, une orbite quasi- périodique; des orbites chaotiques dans le voisinage de leur espace des phases peuvent aussi enrichir la cacahuète (d'après Combes et al 1990)

Nous avons par la suite (dix ans plus tard!) éclairci le mécanisme exact de la résonance verticale de Lindblad pour former les bulbes, et en particulier mis en évidence les orbites périodiques 3D qui jouent le rôle d'attracteur dans ce problème (figure I-1b, Combes et al. 1990). Vers la même époque le problème de la formation des boîtes et cacahuètes a connu un regain de faveur parmi les dynamiciens, et une interprétation voisine en termes d'instabilités de torsions verticales a été développée. Nous avons eu le plaisir de voir ensuite se multiplier les travaux observationnels et théoriques venant confirmer notre scénario de formation des bulbes-boîtes et cacahuètes par résonance barrée (l'observation en NIR ou en cinématique des objets de cette forme vus par la tranche révèle une barre dans pratiquement 100% des cas).

Figure I-2: Formation d'anneaux de gaz moléculaire, dans une simulation de la réponse du gaz au potentiel d'une barre, selon la vitesse de la barre. La position des résonances varie selon cette vitesse. Noter la réinjection d'énergie vers la population des nuages moléculaires, lors des explosions de supernovae (d'après Combes & Gerin 1985).

Les simulations ont ensuite pris en compte la dynamique du gaz, et nous avons été parmi les premiers à étudier la réponse d'un ensemble de nuages de gaz en collisions dissipatives à un potentiel non-axisymétrique en forme de barre (Combes & Gerin 1985). Ces travaux ont mis en évidence la formation d'anneaux particulièrement contrastés aux résonances internes de Lindblad (voir Figure I-2). Ces accumulations de gaz dans les anneaux permettaient de prévoir les lieux de formation d'étoiles dans les galaxies barrées, et les concentrations de gaz moléculaire (et d'émission CO), ce que nous avons vérifié par des observations millimétriques (anneaux CO de NGC 1097, NGC 4314 par exemple, Gerin et al 1988, Garcia-Barreto et al 1991, Combes et al. 1992).

Figure I-3: Schéma de l'évolution des galaxies le long de la séquence de Hubble. Une galaxie à disque peu massif, sans bulbe est instable sous forme de spirale/barre, et celle-ci rassemble la masse vers le centre (voir l'évolution du bulbe, dans la projection de profil). Lorsqu'il y a trop de masse au centre, la barre disparaît, et le gaz provenant de l'extérieur enrichit le disque. Plus tard, une autre barre pourra se former, lorsque le rapport disque/bulbe sera a nouveau favorable. Une barre secondaire (cf étape 3) peut relayer la barre primaire dans la concentration de la masse vers le centre (d'après Combes 1998).

Les barres sont les moteurs de l'évolution des galaxies, car elles créent les couples gravitationnnels nécessaires pour transférer le moment angulaire vers l'extérieur, et permettre à la galaxie de se contruire et se concentrer, par mouvements radiaux de matière (cf figure I-3 et revues de Combes 1988, Buta & Combes 1996). Il est fondamental de connaître la vitesse angulaire à laquelle tourne la barre, pour tester les théories, mais aussi en déduire son étape d'évolution, et le lieux des résonances, qui vont controler la formation d'étoiles. La vitesse de l'onde n'est pas une quantité qui se mesure directement, car elle n'a rien à voir avec la vitesse des particules. Nous avons été les premiers à mettre au point une méthode de simulation de la réponse du gaz dans le potentiel du disque, qui permet de déduire avec grande précision la vitesse de l'onde. Le potentiel du disque est déduit directement des observations infra-rouges (pour éviter la présence de poussière), par déprojection et déduction du rapport masse-luminosité à partir de la courbe de rotation. Cette méthode a été appliquée avec succès dans le cas de plusieurs galaxies, comme Messier 51, NGC 4321 ou NGC 7479 (Garcia-Burillo et al 1993, 1995, Sempere et al 1995), et permis de montrer que la barre n'avait pas les mêmes résonances selon la séquence de Hubble. Des simulations N-corps, prenant en compte gaz et étoiles, ont alors proposé une explication, correspondant particulièrement bien aux observations (Combes & Elmegreen 1993).

Enfin les simulations N-corps prenant en compte gaz et étoiles ont révélé l'importance des mouvements radiaux de matière, et la présence d'ondes imbriquées, et de systèmes nucléaires découplés (barres et spirales nucléaires). Nous avons été parmi les premiers à mettre en évidence ce phénomène et à l'interpréter (Shaw et al 1993, Combes 1994). Nous avons entrepris des surveys de centaines de galaxies barrées dans l'infra-rouge pour débusquer le phénomène (Jungwiert et al 1997), et utilisons l'optique adaptative (cf figure I-4). Le rôle des barres nucléaires pour alimenter un éventuel trou noir central est crucial, et permettrait de mieux comprendre le phénomène des noyaux actifs de galaxies (cf revue de Combes 2000, astro-ph/0010570).

Figure I-4: Il peut se former deux barres emboîtées, comme des poupées russes. Ici NGC 5728 a une barre nucléaire (droite, champ de 36") au sein de la barre primaire (gauche, champ de 108"). Noter l'étoile en haut à gauche de la barre nucléaire, qui se retrouve dans les deux images et donne l'échelle relative. La barre secondaire tourne plus vite que la barre primaire (d'après Combes et al. 2001).

Avec ALMA, il est aujourd'hui possible de sonder les noyaux de galaxies avec une résolution spatiale inégalée, jusqu'à 40mas. Une autre fenêtre s'ouvre alors, pour mieux comprendre l'alimentation des trous noirs, de même que leur rétroaction (feedback), sous forme d'outflows moléculaires, à une échelle de 10pc, dix fois mieux que dans la décennie précédente. La galaxie barrée NGC 1433 montre ainsi un deuxième anneau (2eme ILR) à l'intérieur du premier (cf Figure I-5a). Nous avons cartographié une douzaine de noyaux actifs proches, et avons découvert pour la première fois des spirales nucléaires de sens « trailing » à l'intérieur de l'ILR la plus interne. La barre nucléaire exerce alors un couple négatif, qui précipite le gaz vers le centre et alimente le trou noir (cf Figure I-5b). Enfin, à l'intérieur de cette spirale nucléaire, se trouve un tore moléculaire, dont la cinématique est découplée du reste du disque, et l'inclinaison différente (cf Figure I-5c).

Figure I-5: a) La galaxie barrée NGC1433 est un noyau actif de type Seyfert 2. ALMA a découvert un deuxième anneau (une 2eme ILR), et un flow moléculaire sortant du noyau (Combes et al 2013). b) La galaxie barrée NGC 1566, une Seyfert 1, présente une spirale nucléaire de type « trailing » à l'intérieur de l'anneau ILR. Cela indique que le gaz est déjà sous l'influence de la gravité du trou noir, et va bientôt l'alimenter (Combes et al 2014). c) La galaxie NGC 613 révèle aussi une spirale nucléaire à l'intérieur de l'anneau ILR, et au centre de la spirale, un tore moléculaire découplé. Le panneau de gauche montre la densité de gaz moléculaire (raie CO(3-2), le milieu le champ de vitesses correspondant. A droite, un zoom d'un facteur 10 de la partie centrale montre la spirale nucléaire en contours, et le tore moléculaire au milieu en couleurs (Combes et al 2019).

Les barres entraînent la matière vers le centre des galaxies, et leur permettent de former un bulbe, de se concentrer, mais ce faisant, elles s'auto-détruisent. Dès que la masse de gaz précipitée vers le centre atteint 5% de la masse totale de la galaxie, la barre commence à faiblir considérablement, la structure des orbites étant trop perturbée. Mais comment alors expliquer que plus de deux-tiers des galaxies sont barrées aujourd'hui?
Plus précisèment, nous avons mesuré la force des barres et spirales dans les galaxies, grâce à leurs images en infra-rouge (Block et al 2002). Avec l'aide de simulations numériques, nous avons montré que, si les galaxies étaient considérées comme des systèmes fermés, la majorité d'entre elles devraient être axi-symétriques aujourd'hui, contrairement aux observations. La solution vient de l'accrétion de gaz par les galaxies spirales tout au long de leur vie. Des quantités énormes sont en jeu, car une galaxie typique doit doubler sa masse tous les 10 milliards d'années; cette accrétion se fait entre les épisodes barrés (Bournaud et Combes 2002). Ceci permet de comprendre comment les galaxies évoluent le long de la séquence de Hubble (figure I-6).

Figure I-6: Séquence de Hubble des galaxies. De gauche à droite, les galaxies elliptiques, puis les galaxies spirales dites "précoces", et enfin les galaxies spirales "tardives". Le long de la séquence Sc --> Sb --> Sa, le rapport bulbe sur disque croît de la droite vers la gauche. Au cours de leur évolution, les galaxies remontent de la droite vers la gauche, mais peuvent passer de la branche des barrées à celle des non-barrées. Par accrétion de gaz, elles peuvent aussi momentanèment repartir de gauche à droite, car la rapport bulbe/disque décroît, permettant à une autre barre de se former. Les fusions entre galaxies, mineures ou majeures, sont responsables de la formation des sphéroides massifs (galaxies elliptiques).

Intéractions et fusions entre galaxies

L'autre moteur d'évolution des galaxies est l'intéraction de marée, qui déclenche les flambées de formation d' étoiles et qui par friction dynamique, va mener en général à la fusion.
Déjà, lors de ma thèse, j'avais effectué des simulations numériques qui avaient permis de comprendre la formation de systèmes de galaxies en intéraction, comme celui de NGC 4631 (que j'ai eu le plaisir de voir reprendre dans la littérature récemment). Nous avons beaucoup contribué par la suite, à la mise en évidence des grandes lignes de l'évolution des galaxies par intéraction: Notre contribution s'est faite à la fois sur le plan des observations (essentiellement du gaz moléculaire), et des simulations, comme dans le cas typique de la Roue de Charette (Cartwheel, figure I-7), où nous avons été les premiers à découvrir l'émission CO.

Figure I-7: a) La Roue de Charette (ou "Cartwheel") est le résultat de la collision de plein fouet entre deux galaxies. Une onde en forme d'anneau se propage du centre au bord, en déclenchant la formation de nouvelles étoiles. Un deuxième anneau se développe au centre (image du Hubble Space Telescope).
b) Simulation numérique de la collision, et formation de l'anneau dans les étoiles (gauche) et le gaz (droite), d'après Horellou & Combes, 2000).

L'accrétion de gaz est très importante dans les intéractions entre galaxies, elle permet souvent de déclencher des starbursts, et aussi de transformer la dynamique des galaxies: voir la contre-rotation (Garcia-Burillo et al 2000), la formation des anneaux polaires (Reshetnikov & Combes 1994), les warps (Reshetnikov & Combes 1998, 99), etc...

Nous avons particulièrement développé le mécanisme de formation des coquilles (ou shells) autour des galaxies elliptiques. Ces coquilles d'étoiles sont le vestige d'un petit compagnon qui a été détruit par les forces de marée de la galaxie elliptique, et effectuent des oscillations dans son potentiel. Par le phénomène d'enroulement de phase, le nombre de coquilles croît avec le temps. Nous avons les premiers à démontrer par des simulations numériques que les coquilles pouvaient être un indicateur de la forme à 3D des galaxies elliptiques (figure I-8a, Dupraz & Combes 1986), et étaient affectées par la friction dynamique, qui régit leur distribution radiale (Dupraz & Combes 1987).

Plus récemment, nous avons découvert du gaz moléculaire dans les coquilles (voir figure I-8b), et bâti une théorie pour expliquer ce phénomène inattendu, confirmé par des simulations numériques (Combes & Charmandaris 2000).

Figure I-8a: Les coquilles sont un traceur de la forme à trois dimensions des galaxies elliptiques, celle-ci étant très difficile à connaître autrement. A gauche, les coquilles qui se forment autour d'une galaxie prolate (ellipsoïde dont les deux axes égaux sont les plus petits), sont comme des parenthèses alternées alignées autour du grand axe. A droite, les coquilles se formant autour d'une galaxie oblate (galette), sont dans le plan équatorial, avec un angle de position aléatoire; simulations de Dupraz et Combes (1986).

Figure I-8b: La galaxie Centaurus A est une galaxie elliptique à noyau actif. Un jet de plasma est visible en contours radio (ici en bleu). Des coquilles d'étoiles (soulignées en jaune), se sont formées tout autour, par l'accumulation des étoiles du compagnon qui a été avalé récemment. Les coquilles contiennent aussi du gaz (HI 21cm, contours ici en blanc), et du gaz moléculaire (observé dans les cercles rouges), d'après Charmandaris et al. (2000).

Les galaxies interagissent d'autant plus que la densité est grande, et notamment dans les amas de galaxies. Pourtant, dans l'état d'équilibre actuel des amas, les vitesses entre galaxies sont si élevées que les effets de résonance sont absents, et les perturbations de marée doivent être très faibles. Pendant très longtemps, ils ont été négligés, le balayage du gaz dans les galaxies d'amas étant attribué uniquement à la pression dynamique du vent chaud intergalactique. Pourtant, le harassement des galaxies d'amas par un très grand nombre de collisions non résonantes peut avoir un effet important dans la ségrégation morphologique des amas. La figure I-9 en montre une illustration, pour un prototype de galaxies spirales récemment accrétées par l'amas. Pour l'essentiel des galaxies elliptiques de l'amas, leur formation a vraissemblablement précédé celle de l'amas, par des fusions dans des groupes préexistants, résolvant par un compromis la question longtemps posée de l'influence relative de l'inné et de l'acquis (cf Combes 2003).

Figure I-9: Interaction de la galaxie NGC 4438 dans l'amas de Virgo avec NGC 4435 (photo de l'Atlas de Arp, à droite, et simulation numérique à gauche, Combes et al 1988). Cet exemple de perturbation, où les étoiles et le gaz moléculaire sont projetés en dehors du disque, ne peut être dû qu'à des effets de marée. Ceci suggère que le balayage du gaz par effet de marée est aussi un phénomène important dans les amas, plus efficace que prévu.

Construction d'une librairie de fusions de galaxies : Projet HORIZON-GALMER

Par des multiples simulations numériques à N-corps (voir Figure I-10), prenant en compte auto-gravité des étoiles, gaz et matière noire, et modélisant toute une gamme de phénomènes physiques (formation d'étoiles, rétroaction des supernovae, perte de masse des étoiles, métallicité), une vaste variété de fusions de galaxies a été calculée. Des résultats fondamentaux sur l'efficacité des interactions de galaxies dans les flambées de formation d'étoiles ont été établis, comme le fait que les flambées sont plus intenses pour des rencontres rétrogrades et non directes (Di Matteo et al. 2007, 2008).

La construction de systèmes galactiques en contre-rotation a aussi été étudiée (Di Matteo et al 2009), de même que la dilution des métaux dans les galaxies starbursts (Montuori et al 2010), ou la migration radiale dans les galaxies spirales (Minchev et al 2011).
La base de données GALMER a été implémentée dans l'Observatoire Virtuel Théorique sur le site de l'Observatoire de Paris, afin d'être mise à la disposition des observateurs (Chilingarian et al 2010). Un programme de synthèse de populations stellaires (dérivé de PEGASE) permet de construire les spectres en chaque pixel des images ainsi formées. Les modèles peuvent alors être construits pour prédire les observations avec Herschel ou ALMA. Cette base de simulations n'a pas d'équivalent dans la littérature.
Site web : http://galmer.obspm.fr.

Figure I-10: Interaction dans le sens direct, entre deux galaxies spirales Sb. En haut : Composant stellaire, vu par la tranche, Au milieu : Composant stellaire, vu de face ; En bas : gaz avec formation d'étoiles, vue de face. (Di Matteo et al 2007, 2008)

II- Composant Moléculaire des Galaxies

Structure spirale et formation d'étoiles

Nous avons été les premiers à découvrir la structure spirale du composant moléculaire dans les galaxies proches, à commencer par la galaxie d'Andromède (Combes et al 1977, Boulanger et al. 1981). Dans mes années de thèse, ces observations ont été effectuées sur le 12m de Kitt-Peak en Arizona, le premier télescope millimétrique à pouvoir détecter l'émission CO extragalactique. Nous avons aussi détecté pour la première fois l'émission de l'isotope 13CO dans les galaxies extérieures (Encrenaz et al 1979), ce qui nous a permis de comprendre plus en détails les phénomènes physiques d'excitation, le rapport entre l'émission CO et la quantité d'hydrogène moléculaire H2, qui est encore une question très débattue!

Aujourd'hui, la plupart de nos résultats sont obtenus avec les télescopes millimétriques de l'IRAM, qui sont les plus sensibles au monde. Nous avons notamment effectué un survey de 100 galaxies avec le 30m de l'IRAM (Braine et al. 1993), qui a permis la première détermination précise du rapport d'excitation CO(2-1)/CO(1-0) dans les noyaux de galaxies (Braine & Combes 1992, 93). Nous avons aussi débuté avec un consortium franco-allemand-espagnol en 2000 un grand survey des noyaux de galaxies avec l'interféromètre de l'IRAM, afin de déterminer les mécanismes d'alimentation des noyaux actifs de Seyfert (Garcia-Burillo, Combes et al.).

Plus récemment, nous participons aussi à la recherche de galaxies à grand redshift, dans le but de tracer l'histoire de la formation d'étoiles et de son efficacité en fonction du temps; c'est un domaine qui va exploser dans les prochaines années et surtout avec ALMA (cf Combes et al. 1999, Melchior et al. 2001).

Recherche de nouvelles molécules

C'est un domaine qui nous a toujours passionné, surtout lors de l'époque de la "chasse" effrénée aux nouvelles molécules dans l'espace, dans les années '80. Les scénarios de chimie interstellaire n'avaient en effet pas prévu une telle richesse de molécules dans le milieu interstellaire, et les résultats observationnels conduisaient la plupart du temps à une remise en cause des mécanismes et réactions. Nous avons découvert entre autres CCD (Combes et al 1985), C3HD (Gerin et al 1987), l'acétone (Combes et al 1987), H3O+ (Wooten et al (1991), les méthyl-cyanide et méthyl-acétylène deutérés (Gerin et al 1992) etc...
Une des molécules les plus fondamentales, et encore non détectée à ce jour est l'oxygène moléculaire O2; nous avons obtenu la meilleure limite supérieure dans une galaxie à grand redshift (Combes & Wiklind 1995, Combes et al 1997). Nous avons aussi recherché de façon très exhaustive la glycine, le plus simple des acides aminés, dans Orion et Sagittarius B2. La glycine a souvent été recherchée dans la passé, vu son importance biologique. Après avoir observé 98 raies attendues de la glycine, nous n'avons obtenu qu'une très bonne limite supérieure, et démontré que le niveau de la glycine ne pouvait qu'être inférieur au niveau de confusion de raies. Durant ces observations, nous avons détecté 334 raies moléculaires, dont 157 sont non- identifiées (Combes et al. 1996, cf figure II-1). Nous avons un projet accepté sur le nouveau télescope de 100m du GBT, qui vient d'entrer en opération, pour une autre tentative à plus basse fréquence.

Figure II-1: Spectre obtenu vers le nuage d'Orion, dans la recherche de la glycine, avec le télescope de 30m de l'IRAM. De nombreuses raies nouvelles d'éléments encore inconnus (U) ont été détectées, d'après Combes et al. (1996).

Absorptions moléculaires à grand redshift

Ces dernières années ont vu la découverte d'une dizaine de galaxies à grand redshift dans les raies d'émission de CO, permettant d'explorer l'histoire de la formation d'étoiles dans l'Univers. Les raies moléculaires peuvent aussi être observées en absorption, devant une source continuum (un quasar) assez puissante. La technique est très sensible, pouvant détecter aisément un nuage moléculaire individuel de quelques masses solaires (alors qu'en émission la plus petite masse détectable se compte en milliards de masses solaires.)

Avec Tommy Wilkind, nous avons joué le rôle de pionniers dans ce domaine, ayant découvert les 4 premiers systèmes d'absorption à grand redshift en millimétrique (qui sont encore les seuls à ce jour). Nous avons entrepris une recherche vers les absorbants Ly-alpha, qui pendant de longues années n'a pas abouti (Wiklind & Combes 1994). Après avoir plusieurs fois reciblé les recherches et surtout persévéré, nous avons détecté le premier système d'absorption en 1994 (PKS1413+135 à z=0.25), avec le télescope européen du SEST au Chili. Plusieurs molécules sont présentes (CO, HCO,+, HCN, etc..) avec une grande finesse de raies (largeur de moins de 1km/s, alors qu'une galaxie en émission est de typiquement 200-400 km/s). Depuis nous avons découvert 3 autres systèmes d'absorption, aux redshifts de 0.6 à 0.9. Ces systèmes sont une prolongation vers les grandes densités de colonne des systèmes d'absorptions detectés en optique dans la raie Lyman-alpha de l'hydrogène (les densités de colonne de H2 sont de 1021 à 1024 cm-2).

Parmi les 4 systèmes détectés à ce jour, il y a deux cas confirmés de lentilles gravitationnelles, avec des images multiples (les deux autres cas seraient des absorptions internes). Ceci n'est pas surprenant, car la détection d'une absorption moléculaire requiert qu'une galaxie soit alignée sur la ligne de visée d'un quasar lointain, ce qui est justement la configuration d'une lentille.

Pour trouver ces objets, nous avons effectué une vaste recherche sur une centaine de candidats à fort continuum millimétrique et dont au moins un redshift était deja connu optiquement ou en radio. Nous avons aussi observé des sources sans redshift connu, en balayant le domaine de fréquences, ce qui nous a permis de découvrir la galaxie lentille de PKS1830-210 (voir figure II-2). Cette méthode est nouvelle en millimétrique, et va bientôt se généraliser avec la nouvelle génération de télescopes.

Figure II-2a: Image radio de la lentille gravitationnelle, avec anneau d'Einstein, PKS1830-21. Figure II-2b: Spectres moléculaires obtenus en absorption devant PKS1830-21.

Environ 15 molécules différentes ont éte détectées en absorption à grand z, dans au total 30 transitions. Ceci permet une étude détaillée de la chimie et des conditions dans lesquelles se forment les étoiles; la comparaison avec les nuages moléculaires locaux semblent privilégier une certaine continuité dans les processus de formation stellaire (Wiklind & Combes 1995, 96, 97).

Particulièrement intéressantes sont les transitions qui n'ont jamais été détectées auparavant. A cause de l'absorption atmosphérique, par exemple, il est impossible d'avoir une estimation correcte de l'abondance de l'eau H2O et de l'oxygène O2 dans le milieu interstellaire. Pourtant, ce sont deux molécules clefs de la chimie interstellaire. Le décalage vers le rouge des sources lointaines permet de s'affranchir de l'absorption atmosphérique; c'est pourquoi nous avons choisi la source avec la plus grande densité de colonne (1024 cm-2) pour tenter de détecter ces molécules fondamentales. Nous avons détecté pour la première fois la raie fondamentale de la molécule d'eau (dans sa forme ortho) en absorption devant le quasar B0218+357. La raie est très optiquement épaisse, et les raies plus excitées ne sont pas observées: la température est basse (Combes & Wiklind 1997). Nous avons aussi effectué une recherche de LiH, molécule à grande importance cosmologique, notamment comme refroidissant pour former les premières structures (Combes & Wiklind 1998).

Paramètres cosmologiques Notons que les absorptions moléculaires permettent de façon originale de mesurer la géométrie de l'Univers et la constante de Hubble, lorsqu'elles surviennent dans une lentille gravitationnelle, donnant lieu à 2 ou plusieurs images du quasar lointain. Il faut pour cela mesurer le retard d'arrivée des rayons lumineux dans les deux images. C'est pourquoi nous avons entrepris de mesurer une fois par semaine le spectre de la source, pour pouvoir en déduire le temps de retard de la lumière, celui-ci étant prévu de l'ordre de 40 jours. Le résultat de cette surveillance hebdomadaire sur les télescopes de l'IRAM et du SEST a permis d'estimer la constante de Hubble à 70km/s/Mpc (Wiklind & Combes 1999).

Température du fond cosmologique Les nuages moléculaires en général sont très froids, leur température cinétique étant de l'ordre de 10-20 Kelvin. La température d'excitation des molécules, que l'on mesure par le rapport des intensités des diverses transitions peut être même encore plus basse, s'il n'y a pas assez de collisions avec d'autres molécules pour exciter les niveaux élevés de rotation. La température est alors très proche de celle du corps noir cosmologique qui baigne tout l'Univers, et qui selon la théorie du Big Bang croit avec le redshift en (1+z). Dans le cas ou l'absorption provient d'un nuage moléculaire diffus, on peut alors mesurer la température du corps noir en fonction du redshift. En ce qui concerne PKS1830-211, la température de la plupart des molécules est en accord est confirme la prediction de la théorie du Big Bang (Wiklind & Combes 1999). Nous avons pu récemment parvenir à la meilleure mesure jamais obtenue (la plus précise et la plus exacte) de la température du corps noir cosmologique prise à la moitié de l'âge de l'Univers (Muller et al 2013).

Test de variations des constantes Enfin, la grande résolution spectrale de l'hétérodyne permet d'obtenir la fréquence des raies moléculaires avec une extrême précision (10-6). Ceci a été mis à profit pour comparer les raies dues à divers phénomènes physiques (rotation des molécules, structure hyperfine dans le cas de HI), pour en déduire les variations de la constante de structure fine ou celle de la masse du proton en fonction du temps dans l'Univers, variations prédites par certaines théories, comme celles de Kaluza-Klein (Murphy et al 2001).

Flots de refroidissement (Cooling Flows)

Le gaz chaud des amas de galaxies, émetteur de rayons X, est la composante qui domine la masse des baryons, surtout dans les amas riches ou il représente 10 fois la masse des galaxies. Le temps de refroidissement de ce gaz chaud est plus grand que l'âge de l'Univers, sauf au centre des amas, ou la densité du gaz le raccourcit. On prévoit donc des flots de refroidissement au centre de certains amas riches, là ou en général existe une galaxie particulière, la galaxie cD. Les satellites X Chandra et XMM ont mis en évidence ce phénomène, mais aussi ont montré que les quantités de gaz en refroidissement étaient plus petites que prévu, à cause de phénomènes de réaction ou "feedback". Le gaz qui tombe vers le centre alimente un noyau actif dans la galaxie cD, et celui-ci émet alors des jets radio, qui peuvent réchauffer le milieu et retarder le refroidissement. Pendant longtemps aucune évidence de ce gaz froid n'avait pu être observé, mais ce mystère tend à se résoudre aujourd'hui, avec l'observation avec les télescopes de l'IRAM d'importantes émissions CO, qui correspondent à ce qui est attendu (Edge 2001, Salomé & Combes 2003) dans plusieurs cooling flows. Avec Philippe Salomé, nous avons été les premiers à mettre en évidence l'existence de gaz moléculaire froid dans un cooling flow, grâce à la cartographie haute résolution avec l'interféromètre de l'IRAM (Salomé et al 2004). Il a été possible de montrer que le CO était associé au courant de refroidissement dans le sillage de la galaxie centrale de l'amas Abell 1795, qui oscille dans le centre de l'amas avec une échelle de temps comparable à celle du refroidissement (Figure II-3). De même, dans l'amas de Perseus (NGC 1275, Fig II-3), nous avons montré que l'émission CO était associée aux filaments Halpha, autour de la galaxie (Salomé et al 2006). Dans les deux cas, la cinématique du gaz moléculaire confirme l'association du CO avec le cooling flow.

Figure II-3: A gauche: carte de l'émission CO(2-1) dans A1795 avec l'interféromètre de l'IRAM (le disque blanc est la position de la source radio). Au milieu: émission Halpha+[NII] de A1795 en gris, avec les contours de l'émission radio 6cm (lobes du jet radio de l'AGN 4C+26.42), d'après Salomé & Combes (2004). A droite: Image en échelle de couleurs du rayonnement X du gaz chaud de l'amas de galaxies de Persée, par Chandra. Les contours blancs sont l'émission continue des jets radio de l'AGN central (3C84). Les contours noirs sont l'émission CO(2-1) observé avec le télescope de 30m de l'IRAM (d'après Salomé et al 2006).

Evolution cosmique de la formation d'étoiles et de la fraction de gaz

Il est connu depuis plus d'une dizaine d'années que les galaxies distantes ont un taux de formation d'étoiles (SFR) au moins 10 fois plus élevé que les galaxies locales. La raison n'en est pas encore claire. Soit la formation d'étoiles était plus efficace dans le passé, soit les jeunes galaxies avaient plus de gaz moléculaire, dans lequel les étoiles se forment. Jusqu'ici, le contenu moléculaire des galaxies distantes, formant des étoiles sur la séquence principale, n'était connu que pour quelques objets très lumineux et rares, principalement des fusions de galaxies et des quasars. Nous avons effectué le premier relevé systématique du gaz moléculaire avec l'interféromètre de l'IRAM, dans deux échantillons de galaxies aux décalages vers le rouge (ou redshift) =1.2 et 2.3, quand l'univers avait 40% et 24% de son âge actuel. Les résultats indiquent que les galaxies distantes étaient riches en gaz, alors que l'efficacité de formation d'étoiles ne varie pas beaucoup avec le temps cosmique. La fraction de gaz moléculaire par rapport à la masse baryonique totale à z= 2.3 et z=1.2 est 44% et 34%, 3 à 10 fois plus élevée que dans les galaxies locales (Tacconi et a 2010). De plus, en comparant les diagrammes position-vitesse de la raie de [OII], traceur de formation d'étoiles, et des raies de CO(3-2) à z=1.2, nous avons pu montrer que les lois de formation stellaire (loi de Kennicutt-Schmidt) étaient très similaires dans la première moitié de l'âge de l'Univers et localement (Freundlich et al 2013). En observant les épisodes de formation d'étoiles plus violente de ces galaxies distantes, qui correspondent à des galaxies ultra-lumineuses en infrarouge, il a été possible de montrer que l'augmentation spectaculaire de ces flambées d'étoiles à grand z était dûe à la fois à une fraction de gaz plus grande, mais aussi à une efficacité supérieure de transformation de gaz en étoiles (Combes et al 2013, Figure II-4).

Figure II-4: A gauche: superposition de l'émission CO(3-2) dans EGS1305123 à z=1.12 (résolution indiquée par l'ellipse grise en bas à droite), et des images du télescope Hubble en bande I (vert) et visible (bleu). Au milieu: Champ de vitesses, qui indique une rotation régulière (le rouge s'éloigne, le bleu s'approche, Tacconi et al 2010). A droite: Evolution en fonction du redshift z de l'efficacité de formation d'étoiles (SFE), et de la fraction de gaz (rapport masse de gaz sur masse stellaire). Chacun augmente d'un facteur 3 lorsque l'on remonte dans le temps (d'après Combes et al 2013).

Galaxies primordiales

De par leur très grande distance et leur très faible luminosité, il est très difficile de détecter les galaxies primordiales. L'amplification gravitationnelle par des amas de galaxies d'avant-plan est alors utilisée pour augmenter la luminosité apparente de ces galaxies et nos chances de les découvrir. D'autre part, les galaxies jeunes qui forment beaucoup d'étoiles, doivent rayonner l'essentiel de leur énergie dans l'infra-rouge très lointain, grâce aux poussières chauffées par les jeunes étoiles. Le satellite Herschel de l(ESA est le mieux placé pour repérer les signaux très décalés vers le rouge par l'expansion de l'Univers. Notre équipe a ainsi découvert grâce à Herschel plusieurs pics d'émission mystérieux, ne correspondant à aucune source proche connue. Un des exemples les plus remarquables est la galaxie derrière l'amas Abell 773 (Figure II-5). L'observation dans cette direction avec les télescopes de l'IRAM a permis de détecter des raies moléculaires (eau, monoxyde de carbone..) et ainsi de déduire le redshift de la source et sa distance. Deux composantes distinctes de vitesses suggèrent qu'il s'agit de deux galaxies en interaction. Le système, même corrigé du facteur d'amplification, est hyper-lumineux (Luminosité supérieure à 1013 luminosités solaires, soit 2-3 ordres de grandeur celle de la Voie Lactée), ce qui est remarquable pour un objet formé un milliard d'années seulement après le Big-Bang.


Figure II-5: A gauche: Découverte d'une galaxie hyper-lumineuse, seulement un milliard d'années après le Big-Bang. Ici le spectre de plusieurs transitions de la molécule CO, de la molécule d'eau H2O, de l'atome de carbone CI et de l'azote ionisé. (d'après Combes et al 2012). A droite: En haut, observation de la source, sous forme d'anneau d'Einstein, ou deux arcs gravitationnels presques fermés. En bas, modélisation de l'image gravitationnelle, comparée avec les observations. (d'après Boone et al 2013).

III- Matière noire et Cosmologie

Matière noire et Structure Fractale

La nature de la matière noire est un des problèmes non-résolus les plus fondamentaux de l'astrophysique. Le problème est en fait double, car il existe deux sortes de matière noire, selon les contraintes de la nucléosynthèse primordiale. Une des composantes serait formée de particules exotiques encore non identifiées en physique, et entre le tiers et la moitié de la matière noire serait baryonique. La matière visible ne représente qu'environ 10% de la matière baryonique; celle-ci est donc essentiellement noire. Les expériences de micro-lentilles ayant éliminé les naines brunes comme composant essentiel de la matière noire baryonique, il ne reste plus que le gaz comme candidat. Celui-ci pourrait être chaud et diffus, ou froid et condensé.

Avec Daniel Pfenniger, nous avons développé en 1993 l'hypothèse que la matière noire autour des galaxies individuelles est essentiellement composée de gaz froid, d'hydrogène moléculaire H2 en équilibre à la température du corps noir. Ce gaz ne fait que prolonger le milieu moléculaire bien connu des galaxies dans leur partie visible, aussi loin radialement que l'hydrogène atomique, qui en est en quelque sorte l'interface avec le milieu extérieur. Les courbes de rotation montrent en effet que la matière noire a une distribution radiale identique à celle du gaz HI, et complètement différente de toutes les autres distributions. Le gaz H2 froid ne rayonne pas, et correspond exactement à la matière "noire" (Combes & Pfenniger 1997). Les nuages moléculaires sont identifiés dans le disque optique grâce à des traceurs moléculaires, dont le plus abondant est la molécule CO, mais ces traceurs ont une distribution radiale qui s'effondre exponentiellement avec le rayon, de la même manière que la métallicité. Il est naturel d'étendre à ce milieu moléculaire à grand rayon galactique les propriétés physiques observées au centre: le milieu a une structure hiérarchisée, très concentrée, sous forme d'un fractal de dimension entre D=1.5 et 2 (voir figure III-1).

Figure III-1: Simulations d'un fractal, structure hiérachique de sphères isothermes imbriquées, avec des dimensions 2 et 1.5. La figure montre que le facteur de remplissage en surface d'un tel nuage moléculaire peut-être très petit, de l'ordre de 1%, d'après Pfenniger & Combes (1994).

Cette hypothèse de matière noire sous forme de gaz froid, résoud de nombreux problèmes, comme celui du temps de consommation du gaz par formation d'étoiles, de la "conspiration" des courbes de rotation, de la richesse en gaz des galaxies en intéraction, de l'évolution des galaxies sur la séquence de Hubble. Notamment, il est très naturel dans ce modèle que la fraction de matière noire décroisse dans l'évolution, des galaxies de type tardif aux types précoces. Le gaz serait distribué sous forme de fractal, couvrant 5 ordres de grandeur en échelles de taille, isotherme à 3K, et en équilibre gravitationnel. Le gaz coronal très chaud à l'intérieur des amas de galaxies pourrait provenir de la destruction progressive des halos de gaz froid. La matière pourrait être entièrement baryonique au niveau des amas de galaxies. Pfenniger & Combes (1994) ont construit un modèle de structure fractale hiérarchisée pour expliquer la stabilité de ce gaz, et surtout la non-formation d'étoiles. Des modèles montrent aussi comment des structures fractales de gaz se forment à grand redshift (z ~ 100) avant même d'être rassemblé en galaxies (Combes & Pfenniger 1998).

Dans la littérature, ce modèle a été repris de nombreuses fois, notamment pour expliquer les observations dans la Galaxie de strutures à très petites échelles, de taille de 10 AU. Si ces structures sont self-gravitantes, elles peuvent représenter toute la matière noire nécessaire pour expliquer les courbes de rotation (e.g. Walker & Wardle 1998, Gerhard & Silk 1996, Sciama 1999, De Paolis et al 1998, etc..). D'autre part, des observations directes des raies de pure rotation de l'hydrogène ont suggéré une grande colonne densité de gaz H2 aux bords des galaxies (Valentijn & van der Werf 1999).

Le modèle pourrait être testé, par exemple à partir du rayonnement gamma observé récemment par EGRET, ceux-ci provenant de l'intéraction de tous les nucléons avec les rayons cosmiques (Combes & Pfenniger 1996). En fait, trop d'incertitudes existent encore sur la distribution radiale des rayons cosmiques eux-mêmes. Par ailleurs, nous travaillons sur des observations UV (du satellite FUSE) afin de détecter l'hydrogène moléculaire en absorption.
Pour déterminer la forme à 3D de la matière noire autour des galaxies, nous avons entrepris l'observation HI au VLA de galaxies vues par la tranche, et la modélisation de l'épaississement des plans (Becquaert & Combes 1997). L'incertitude sur l'extension radiale de la matière noire empêche encore de décider du caractère dissipatif ou non de la matière noire galactique (i.e. forme plutôt neutrinique ou plutôt baryonique). Des tentatives ont été effectuées sur les anneaux polaires, qui en principe devraient déterminer la dynamique dans deux plans perpendiculaires. En pratique, l'anneau polaire lui-même n'est pas un ensemble de particules-test, mais sa self-gravité perturbe considérablement la dynamique. La matière noire pourrait même être alignée avec lui (Combes & Arnaboldi 1996).
Dans une étude statistique de tous les systèmes à anneaux polaires dont la cinématique est connue, nous avons mis en évidence pour la première fois leur position surprenante dans le diagramme de Tully-Fisher, qui relie la masse (ou luminosité) à leur vitesse maximale (Iodice et al 2003). La vitesse de rotation du gaz HI dans le plan de l'anneau polaire est beaucoup plus forte que prévu, d'environ un facteur 2. Elle est plus forte que la vitesse de la matière dans le plan équatorial du système, alors que même avec un halo noir sphérique, la matière visible dans le disque de la galaxie principale devrait rendre elliptique l'anneau polaire, et la vitesse dans son plan plus faible. La seule solution est que le halo de matière noire soit aligné dans le plan de l'anneau polaire.
Cette conclusion, compte-tenu des mécanismes possibles de formation des anneaux polaires, par fusion de galaxies ou accrétion de gaz, soutient l'hypothèse de l'existence de grandes quantités de gaz froid autour des galaxies spirales. Le mécanisme le plus fréquent pour former les anneaux polaires serait l'accrétion de gaz d'un compagnon, bien avant une fusion éventuelle (Bournaud et Combes 2003). Ce serait le cas notamment pour le prototype des anneaux polaires NGC 4650A, car aucun halo stellaire n'a été détecté dans son voisinage par le HST (voir figure III-2), or la fusion prédit l'étalement des étoiles du compagnon en un halo visible.

Figure III-2: Le prototype des galaxies à anneaux polaires NGC 4650A (à gauche). A droite, simulation générique de la formation des anneaux polaires par accrétion du gaz d'un compagnon (les étoiles du compagnon sont en rouge, le gaz en vert, les étoiles de la galaxie cible sont en bleu, d'après Bournaud & Combes 2003).

Nous développons de façon plus aprofondie les conséquences sur la stabilité des galaxies de la forme et la nature de la matière noire. Si celle-ci est baryonique, dissipative, et de forme aplatie, de nombreux problèmes comme celui du moment angulaire, l'évolution des barres et des spirales, pourraient être expliqués. Ces travaux demandent des simulations N-corps à grande résolution spatiale.
Nous avons aussi étudié un projet de satellite dédié à l'observation des premières raies de rotation de l'hydrogène moléculaire, à haute résolution spectrale, permettant de développer les premières détection d'ISO dans ce domaine (H2 surveyor/ESA) (consortium européen).

Self-gravité, Lois d'échelle et Thermo-Statistique

Les nuages de gaz du milieu interstellaire forment une structure hiérarchique fractale (self-similaire), dont l'origine est souvent attribuée à la turbulence. L'énergie de la turbulence pourrait provenir à grande échelle de la rotation de la Galaxie, puis se propager en cascade pour être dissipée à petite échelle par la viscosité. Il est généralement admis que c'est cette turbulence qui stabilise les nuages, et les empêche de se contracter sous l'effet de leur propre gravité.

Dans un travail théorique récent (de Véga, Sanchez, Combes 1996), nous proposons que ce soit l'auto-gravité des nuages elle-même qui pourrait être à l'origine de la structure fractale du milieu interstellaire. Pour comprendre la physique du milieu, nous développons une approche de théorie des champs, en supposant le milieu isotherme, et soumis uniquement à sa propre gravité (développement de la fonction de partition en grand canonique, avec un nombre de particules variable). Dans ces conditions, nous montrons que le milieu possède toutes les caractéristiques d'un comportement critique, semblable en ceci aux changements de phase en mécanique statistique. Ceci nous permet de déduire des théories de renormalisation et exposants critiques la dimension fractale du milieu interstellaire.

La théorie thermodynamique de la gravité est un problème quasi-insoluble, étant donné la non-extensivité, qui mène à la catastrophe gravo-thermale, en microcanonique. Notre proposition correspond à une modélisation du problème isotherme, dans des conditions physiques bien spécifiques (correspondant au milieu interstellaire), où d'autres phénomènes physiques prennent le relai à courte et longue échelle (l'adiabaticité et le cisaillement galactique respectivement). La théorie a ainsi pu être développée, en tenant compte de ces cut-off.

Les solutions par développement perturbatif ont été explorées par Semelin et al. (1999). Nous avons découvert en particulier que la renormalisation faisait apparaître des échelles caractéristiques qui se déduisent les unes des autres par progression géométrique (d'un facteur 10.74 en géométrie sphérique), qui correspondent tout à fait à la fragmentation récursive, à l'origine de la structure fractale. La théorie a été étendue à l'Univers en expansion, et à l'étude de l'origine des fonctions de corrélation des galaxies, et de la structure multifractale des grandes structures (de Véga, Sanchez, Combes 1998).

Des simulations numériques N-corps, prenant en compte la dissipation du gaz par des collisions, ont été effectuées pour étayer le scénario (voir figure III-3). Un état stationnaire n'est obtenu qu'en se servant de la rotation différentielle de la Galaxie, ou cisaillement, qui stabilise les structures (Semelin & Combes 2000).

Figure III-3: Simulations de la formation et de l'évolution d'un nuage moléculaire self-gravitant fractal (N-corps dissipatif) d'après Semelin & Combes (2000).

Réionisation de l'Univers

Notre équipe s'intéresse aussi à la période de réionisation de l'univers, qui correspond à la formation des premières étoiles, qui mettent fin à l'âge sombre. Dans le cadre du projet HORIZON, nous simulons la dynamique d'une portion d'univers de 50 à 100 Mpc de large, en prenant en compte la formation d'étoiles et l'ionisation du milieu environnant. Un programme de Monte-Carlo (LICORICE), couplé au code SPH a été mis au point pour traiter le transfert de rayonnement en 3D~ Le transfert radiatif est maintenant validé, autant pour le continuum et son couplage à la dynamique que pour le transfert Lyman-alpha (Baek et al 2008, Iliev et al, 2008, Semelin, Combes, Baek 2007). Le transfert radiatif est parallélisé en OpenMP. Le degré d'ionisation est suivi en fonction du redshift, entre z=11 et 6.

D'autre part, nous essayons de prédire l'effet sur la température du gaz d'hydrogène neutre HI, afin de calculer les possibles cartes de brillance à 21 cm redshifté, c'est-à-dire aux longueurs d'onde métriques, qui vont être observées par LOFAR et SKA. Nous avons en particulier mis en évidence des effets particuliers dans l'excitation du gaz HI par les photons Lyman-alpha. L'effet Wouthuysen-Field permet à ces photons de découpler le gaz du fond de rayonnement cosmique, afin d'aligner la température de spin à la température cinétique du gaz. Ainsi le signal HI-21cm pourra être soit en absorption ou en émission. A cause des multiples diffusions des photons Lyman-alpha, ceux-ci se concentrent autour des sources, au lieu de parcourir de grandes distances avant d'entrer en résonance avec le gaz inter-galactique. Ainsi nous prédisons un contraste plus grand et plus détectable dans le signal. Les travaux sont exploités dans le cadre du SKA Design Study européen (cf Figure III-4).

Figure III-4: Simulations de l'émission du HI-21cm lors de l'Epoque de Réionisation. La palette de couleur à droite de chaque image indique la température de brillance du HI en mK. Deux boîtes de simulations ont été étudiées: 20h-1Mpc = S20 (en bas), et 100h-1 Mpc = S100 (en haut). Le degré de réionisation est de 0.5 pour S20 (soit z=6.69) et de 1 pour S100 (soit z=10.01). A gauche : résultats de l'approximation Tspin >>Tcmb, et à droite Tspin = Tgaz (Baek, di Matteo, Semelin, Combes, & Revaz 2008).

Gravité modifiée -- MOND

La dynamique des galaxies a été étudiée dans le cadre de la gravité modifiée et le modèle MOND en particulier, au cours de la thèse d'Olivier Tiret. Un code numérique multi-grille a été mis au point pour traiter cette dynamique non conventionnelle, et non-linéaire. Les simulations numériques ont montré que la formation de barres dans ce modèle était plus facile que dans la dynamique newtonienne avec matière noire. La fréquence des barres correspond alors mieux aux observations (Tiret & Combes 2007, 2008).

Par contre la friction dynamique est beaucoup plus faible dans ce nouveau modèle, et le temps de fusion entre galaxies est beaucoup plus long. Des simulations d'interactions de galaxies montrent qu'il est toutefois possible de former des queues de marée et même des naines de marée, qui reproduisent de façon satisfaisante les observations (cf. Figure III-5). La dynamique des satellites, et le phénomène de champ extérieur polarisant dans MOND, ont aussi été étudiés en détail et donné lieu à plusieurs publications (Tiret & Combes 2007, 2008). Nous avons montré que le modèle MOND était compatible avec l'hypothèse de baryons noirs sous forme de gaz froid moléculaire, avec un rapport de gaz H2/HI de l'ordre de 3 (Tiret & Combes 2009). D'autre part, les mouvements des satellites à grande échelle observés dans le SDSS peuvent être reproduits par MOND (e.g. Combes & Tiret 2009).

Figure III-5: Simulations des galaxies en interaction ~Les Antennes~ (photo à gauche) avec la gravité modifiée MOND à droite. Les détails morphologiques n'ont pas été ajustés, mais les principales caractéristiques des queues de marée sont reproduites (d'après Tiret & Combes 2008)

 


 

Supervisions de Thèses (38)

 

Post-doc en Collaborations

  • Tommy Wiklind (1991-92)
  • Vladimir Reshetnikov (1992-93)
  • Selma Junqueira (1994-95)
  • Magda Arnaboldi (1995)
  • Vassilis Charmandaris (1997-99)
  • Anne-Laure Melchior (2000-01)
  • Marcio Ramos de Oliveira (2001-02)
  • Margarita Valdez (2002-03)
  • Nemesio Rodriguez (2002-04)
  • Paola di Matteo (2005-07)
  • Yves Revaz (2005-07)
  • Igor Chilingarian (2007-09)
  • Chiara Mastropietro (2008-10)
  • Rebecca Grouchy (2009-11)
  • Kalliopi Dasyra (2010-14)
  • Maxime Bois (2011-14)
  • Martin Stringer (2011-14)
  • Greg Novak (2011-14)
  • Valerio Lattanzi (2012-14)
  • Pedro Beirao (2012-15)
  • Steve Hamer (2012-15)
  • Julia Scharwaechter (2013-15)
  • Jonathan Freundlich (2015-16)
  • Monica Rodriguez (2015-17)
  • Gianluca Castignani (2016-18)
  • Bogdan Ciambur (2017-19)
  • Anaelle Halle (2018-19)
  • Edouard Tollet (2018-19)
  • Pratik Dabhade (2020-22)
  • Michal Bilek (2021-23)
  • Kim Emig (2024)