La science au DEMIRM, années 1980-2000

C’est à partir de 1976-77 que Pierre Encrenaz crée une antenne du département de Radioastronomie de l’Observatoire à l’ENS. Aidé par Jean Brossel, alors directeur du département de Physique, il obtient un ensemble de bureaux, où lui-même avec Robert Lucas, Françoise Combes et Jean-Claude Pernot (qui étudie la conception des récepteurs millimétriques) peuvent travailler et développer le groupe. Des étudiants vont très vite se joindre à l’équipe scientifique, comme François Boulanger en 1979, Fabienne Casoli en 1980, Maryvonne Gerin en 1981, etc.

Maryvonne Guérin

François Boulanger

Fabienne Casoli

La vie scientifique s’organise autour d’observations millimétriques, effectuées d’abord sur des télescopes américains (les seuls disponibles à l’époque) : le 12m de Kitt Peak, en Arizona (opéré par NRAO à l’époque), le 5m de McDonald Observatory, au Texas, l’antenne de 4.6m de l’Aerospace Corp, à El Secundo, près de Los Angeles, ou encore le 7m des Bell Labs (New Jersey, ou nous avons observé avec le prix Nobel Bob Wilson). Si le 12m de Kitt Peak était ouvert sur acceptation d’un proposal et disposait d’opérateurs sur place, le 5m de McDonald, joli télescope à surface plaquée or, était ouvert comme une auberge espagnole: notre groupe avait du temps d’observation, conditionné à notre participation aux frais. Nous apportions donc dans le voyage par avion, des klystrons, ou oscillateurs locaux, pièces high-tech très onéreuses, qui nous occasionnaient parfois des difficultés au passage de la douane. Sur place, il fallait monter sur l’antenne pour installer et visser les oscillateurs, et les changer à chaque gamme de fréquence observée. Sans opérateur, nous étions les seuls responsables du télescope dans nos observations. A l’Aerospace Corp., dans des locaux à sécurité militaire, nous étions escortés dans tous nos déplacements par un gardien, mais étions tout de même seuls responsables de l’antenne. Bob Dickman nous a beaucoup aidés pour nous familiariser avec elle. Dans un article récent, P. Vanden Bout, J. Davies, et R. Loren retracent l’histoire de l’antenne millimétrique du Texas (MWO), où notre groupe intervient.

Dans une deuxième étape, en attendant la construction des télescopes de l’IRAM, notre groupe a ensuite participé à l’aventure des télescopes POM (ou Petite Opération Millimétrique). Nous avons entrepris un survey de notre Galaxie, la Voie lactée, dans la raie de l’isotope 13CO, dans le second quadrant (bras de Persée, bras d’Orion) et identifié plus de 300 nuages, dont le spectre de masses a été déterminé et comparé aux prédictions de nos simulations de formation de nuages par collisions. Pour cette série d’observations, nous nous sommes déplacés à l’Observatoire de Bordeaux pour de nombreux runs d’observations. Les séjours pittoresques nous ont laissé d’excellents souvenirs. Les conditions d’observations ont beaucoup évolué durant ces années, au début il fallait charger le logiciel de commande du télescope avec une bande de papier perforé et un télétype. Très vite les observations se sont adaptées aux progrès exponentiels de l’informatique.

En 1985, nous avons pu commencer à observer avec le télescope de 30m de l’IRAM. Avec Nicolas Weliachew, alors à l’IRAM-Grenoble, nous avons commencé à cartographier la galaxie spirale NGC 6946. Malheureusement, « Welia » comme nous l’appelions n’a pu participer qu’aux premières publications de l’IRAM, juste avant son décès par noyade en 1986. Il a fallu plusieurs années à notre groupe pour terminer la cartographie en CO de cette galaxie, contenant plus de 3000 spectres. A l’époque, les spectres sont obtenus un par un ! Plus tard, dans les années 2000, les récepteurs multi-beam (HERA, 18 pixels) permettront d’aller plus vite.

Nous avions été les premiers à détecter la molécule CO dans notre galaxie voisine Andromède (Messier 31), à Kitt Peak et aux Bell-Labs. Nous avons continué avec l’IRAM-30m bien sûr, démontré la structure spirale et sa formation d’étoiles associée, et cela se poursuit aujourd’hui avec l’interféromètre du Plateau de Bure (NOEMA aujourd’hui) au centre, dans le but de montrer comment le trou noir central est alimenté. Les études multi-longueur d’onde (VLA, Spitzer, Herschel) s’enrichissent aujourd’hui de la spectro optique FTS avec Sitelle sur le CFH.

Nous avons activement participé à la recherche de nouvelles molécules dans l’espace, qui s’apparentait à une véritable chasse et une féroce compétition internationale, des années 1970 à 2005 environ. Nous avons collaboré avec une équipe de physico-chimistes du laboratoire de spectroscopie hertzienne de Lille, afin d’obtenir les prédictions du spectre de molécules rares, non connues encore en laboratoire, mais de grand intérêt astrophysique. Grâce à eux, nous pouvions être les premiers à rechercher ces molécules ou radicaux dans l’espace. De sérieux concurrents étaient dans le groupe de Pat Thaddeus (à Columbia, puis Harvard), avec qui collaborait Michel Guélin, puis Pepe Cernicharo. C’est en 1970 qu’est détectée pour la première fois la molécule CO si utile pour tracer le milieu moléculaire. Elle commence à être détectée dans des galaxies proches à partir de 1975 avec la thèse de L. Rickard, et notre groupe l’a détectée pour la première fois dans plusieurs galaxies proches, comme M83 et M31. Dans les années 1990, une nouvelle révolution sera la détection de la molécule CO dans des galaxies à très grand redshift. A partir de ces années, notre équipe s’est engagée dans la formation des galaxies dans un contexte cosmologique, la détermination du contenu moléculaire des galaxies au cours du temps, et l’histoire cosmique de la formation d’étoiles. Ces études se développent de plus en plus aujourd’hui avec ALMA et NOEMA.



Par Françoise Combes